La carrière du sculpteur en France au XIXe siècle, vue par Antoine Étex

Le sculpteur Antoine Étex (1808-1888), qui réalisa, entre autre, deux des bas-relief de l’Arc de Triomphe de Paris, publie en 1856 un »Essai d’une revue synthétique sur l’exposition universelle de 1855″ où se trouvent les lignes suivantes pp 61 et 62 :

Voici comment on procède pour avoir des sculpteurs chez nous. Dans une école de dessin de province, car il y a une école dans chaque ville de France (nous n’en sommes pas encore arrivés à comprendre que tous doivent apprendre à dessiner en même temps qu’ils apprennent à lire et à écrire !); dans cette école, il y a, par exemple, l’enfant du menuisier d’à côté qui montre plus de disposition, ou, pour être plus vrai, qui est un élève plus assidu, plus docile que l’enfant du forgeron. Par l’affection du maître, il gagne la protection de M. le maire, qui lui gagne à son tour celle du conseil municipal, celle du conseil général, et enfin celle de M. le préfet. Ce garçon là est appelé, dit-on, à être l’une des gloire de la ville, du département, de la France entière ! On va l’envoyer à Paris avec une pension. (p 62). Du jour où il vit d’une pension, l’élève n’a plus qu’une idée qui le pousse : c’est d’être pour toujours un rentier de l’État. Le sculpteur n’est pas si bête qu’il en a l’air, comme vous le voyez, et, tout en poursuivant les études de cet Art à Paris, il cultive les succès obtenus dans son département; il ne néglige pas non plus le bureau des beaux-arts; il cherche dans le personnel de ses protecteurs ceux qui pourront lui être plus utiles, afin d’arriver à porter le plus possible son petit magot à la caisse d’épargne; et après vingt ou trente années d’une vie honteuse de supplications et de démarches renouvelées à chaque travail qu’il obtient d’une vie de mendiant, il meurt, s’il a bien manœuvré toutefois, petit propriétaire et petit rentier, s’il ne va pas mourir à l’hôpital (note 1en bas de page : Quelques autres, plus courageux, hommes ingénieux et plus dignes, se sont mis à faire de l’ornement, des petits groupes d’animaux et des pendules qui s’adressent au public par l’entremise des fabricants de bronze, des marchands; il leur arrive le plus souvent que c’est leur plus mauvais modèle, celui que les vrai connaisseurs et eux-mêmes estiment le moins, qui devient le modèle à la mode le plus vendu, le plus recherché.) ! Voilà en quelques mots, à peu d’exception près, l’histoire réelle de la plupart de nos sculpteurs français. Depuis une dizaine d’année, il faut y ajouter quelques fils de familles bourgeoises qui piquent leur part au budget, puis, quelque nobles étranger qui ont pris les plus hautes positions spéculative.

Antoine Étex Essai d’une revue synthétique sur l’exposition universelle de 1855 suivi d’un coup d’œil jeté sur l’état des beaux-arts aux États-Unis. Paris, chez l’auteur, rue de l’ouest, 80 (2, rue Carnot), 1856
lien vers version numérisée sur le site Gallica de la BNF

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